LAC LEMAN

Introduction à I'étude des relations chimiques entre les sédiments du fond et l'eau (suite)

par

OLIVIER GONET

 

 

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Certains jours, l'eau du lac paraît étonnamment claire et transparente au plongeur. Même par 30 ou 40 mètres de profondeur, la lumière reste suffisante pour lui permettre de travailler et d'observer le sol sous-lacustre sans le secours d'un éclairage artificiel. Il arrive aussi assez souvent qu'en quelques heures tout s'obscurcisse au point que même en allumant un phare puissant, il ne puisse voir le bout de son bras tendu. Un épais brouillard de matières en suspension se détache du fond.

Parfois ce brouillard traverse les stratifications thermiques de l'eau pour s'écouler lentement vers la profondeur. Mais à vrai dire, je n'ai jamais assisté à la formation d'un véritable courant de turbidité assez violent pour mériter ce nom. Cela ne signifie pas qu'ils n'existent pas, mais les rares traces qui, à la rigueur, pourraient être interprétées comme étant dues à l'érosion des courants de turbidité sont, dans la région, beaucoup trop modestes pour révéler l'existence d'un phénomène fréquent ou important.

II arrive aussi que, par le hasard des courants sans doute, ces nuages turbides atteignent la surface du lac. C'est alors que se dégage cette affreuse odeur de pourriture trop connue des riverains.

De manière générale, en tout cas, l'existence de différents phénomènes capables de remettre les sédiments superficiels du lac en suspension est évidente pour le plongeur. Mais, comme la durée de ses séjours sous l'eau est forcément brève, ses observations ne peuvent être qu'incomplètes. C'est pourquoi j'ai approfondi le problème en exécutant des mesures physiques à partir de la surface.

Pour ce faire, différentes méthodes ont été mises en oeuvre.

a) Les mesures de la transparence de l'eau

Une autre manière très directe d'observer les remises en suspension des sédiments superficiels du fond du lac consiste à mesurer la transparence de l'eau régulièrement et à quelques jours d'intervalle.

Dans ce but, j'ai développé, en collaboration avec la maison Alcyon électronique de Lausanne, un appareil capable de mesurer avec précision cette transparence «in situ», à n'importe quelle profondeur et indépendamment de la lumière du jour .

Du bateau on descend dans l'eau une sonde reliée à l'appareil de mesure par un câble et au fur et à mesure de sa descente, on mesure en continu la transparence. L'appareillage est étalonné d'après les conventions suivantes

100 % = transparence de l'air   O % = opacité totale.

Trois causes principales sont susceptibles de faire varier la transparence de l'eau

- Le phytoplancton coloré.

- Le zooplancton (dans une moindre mesure, parce qu'il est souvent plus ou moins translucide).

- Les matières opaques en suspension.

A vrai dire, il n'est pas toujours facile de distinguer les deux premières causes de la dernière. Cependant, on peut considérer que le plancton se concentre près de la surface et particulièrement dans la zone comprise entre 2 et 10 m de profondeur, alors que les matières solides en suspension seront plus dispersées, avec une tendance à augmenter vers la profondeur, près du sol sous-lacustre.


Fig 6) Variations de la transparence de l'eau, mesurée "in situ" tous les mètres de profondeur, au large du delta, à différentes dates de l'été 1970

Cette base d'interprétation approximative suffit pour examiner la figure. En bref, on y découvre trois sortes d'anomalies susceptibles d'être attribuées aux suspensions inertes :

- Certaines couches d'eau peu épaisses et situées à mi-profondeur se marquent par une brusque diminution de la transparence. Celle-ci peut être due soit à la présence d'un nuage de zooplancton, soit à une turbidité formée quelque part sur la pente du rivage et déplacée vers le large par un courant (par exemple le 8 août à 15 m et à 21 m de profondeur).

- Une couche d'eau troublée, de plusieurs mètres d'épaisseur se trouve parfois située près du fond (par exemple le 16 juillet, le 22 juillet, le 19 août).

- D'autres fois, c'est la transparence de la colonne d'eau sur toute sa hauteur qui diminue (par exemple le 16 août).

On peut certainement attribuer les troubles de l'eau constatés dans les deux derniers de ces cas, au moins, à l'effet des remises en suspension de sédiments superficiels. Une fois de plus, l'existence de ces phénomènes se trouve confirmée.

b) Les trappes à sédiments

Dans le but de préciser quelque peu l'ampleur du phénomène de la migration des sédiments, nous avons installé sur le fond du lac des «trappes à sédiments » (aux points I, II et III de la carte topographique de la figure 1).

Il s'agit de trois batteries de quatre trappes chacune, disposées par 30 m de profondeur. Chaque batterie est installée sur un tapis de linoléum de 4 m2, solidement fixé sur le sol sous-lacustre. Ces tapis sont destinés à empêcher que les plongeurs ne remettent de la vase en suspension au moment. de la pose des trappes à sédiments, et à observer l'évolution des dépôts sur une surface placée dans les mêmes conditions que le sol lui-même.

A quelque distance du tapis se trouve un corps-mort relié à une bouée de signalisation. En utilisant une corde de plus faible densité que l'eau, on évite qu'elle ne traîne sur le fond en agitant la vase.

Sur chacun des trois tapis sont posées quatre marmites cylindriques et sans couvercle (en aluminium, de 20 cm de hauteur et de 24 cm de diamètre). Elles sont lestées de quelques kilos de plomb, pour éviter que les courants ne les renversent.

Semblables à des cuves de pluviomètres, elles sont destinées à recevoir et à conserver tout ce qui tombe de l'eau qui les domine.

Quatre de ces marmites par batterie, donc 12 en tout, ont été déposées vides sur les tapis, au fond du lac, au mois d'avril 1969.

Trois mois plus tard, en juillet, une marmite par batterie a été délicatement prélevée et remontée à la surface. Pendant cette courte période, une couche de 1 ½ cm environ de matériaux fins s'était déposée au fond de chacune d'elles.

Trois mois plus tard, en septembre, un second prélèvement de marmites montrait que la quantité de matériaux déposés avait nettement augmenté. Leur épaisseur était de l'ordre de 2 cm.

Au mois de février 1970, après 10 mois passés au fond du lac, les marmites contenaient une couche de sédiments variant entre 8 et 15cm.

Au mois d'avril, après une année entière de séjour, certaines marmites s'étaient entièrement remplies et se trouvaient enfouies dans la vase, d'autres, au contraire, n'avaient guère changé de contenu depuis les prélèvements de février.

Nous préciserons plus loin la quantité et la qualité de ces différents dépôts. Mais on peut déjà remarquer l'importance quantitative des remises en suspension et des migrations de sédiments superficiels. En effet, il est bien évident qu'une pareille quantité de matériaux ne peut provenir des seules précipitations chimiques et biologiques d'une couche d'eau de 30 m d'épaisseur.

Il est également impossible d'attribuer une telle intensité de sédimentation aux seuls apports de la petite rivière et ceci pour trois bonnes raisons :

- La batterie de marmites la plus proche de l'embouchure se trouvait tout de même à une distance de 460 m. La plus éloignée se situait à plus d'un km de l'axe d'écoulement de la rivière.

- Pendant tout l'été, l'eau de la Promenthouse est restée claire et limpide. Or, pendant la même période, 2 cm d'épaisseur de sédiment ont pu se déposer au fond des marmites et ceci à plusieurs centaines de mètres au large.

- Il n'y a pas de relation évidente entre la quantité de matériaux déposée dans les marmites et la distance qui les séparait de l'embouchure de la rivière.

Il faut donc admettre que ces marmites ont surtout récolté des sédiments apportés par les courants sous-lacustres et cette conclusion est confirmée par toutes les observations décrites plus haut.

Chaque fois que le sol est remis en suspension, les matériaux fins sont transportés à des distances qui doivent être considérables puisque, lorsqu'on imite le phénomène en agitant de la vase dans un récipient plein d'eau, il faut ensuite plusieurs jours de tranquillité pour que tout se redépose sur le fond et que l'eau redevienne claire. Or, il n'est pas rare de mesurer des courants dont la vitesse est de l'ordre de 1 à 2 km/h (BÉTAN et PERRENOUD, 1933).

Dans ces conditions, on peut penser que si les marmites se remplissent aussi rapidement, c'est qu'elles retiennent tout ce qui tombe dedans. Sur le sol lui-même, en revanche, les matériaux déposés lors d'un ralentissement du courant sont ensuite repris, transportés plus loin et remplacés par d'autres, dès que la vitesse du courant diminue à nouveau.

Par comparaison avec l'épaisseur des dépôts qui ont recouvert peu à peu les tapis de linoléum sur lesquels étaient déposées les marmites, on peut estimer très approximativement que le sol est ainsi régulièrement « labouré » sur une épaisseur d'au moins 10 cm.

Naturellement, ces observations et cette estimation ne sont valables que pour la zone du delta de la Promenthouse. A considérer la carte géoélectrique des régions avoisinantes et les formes très capricieuses des anomalies électriques, on se représente objectivement la très grande variété des conditions dans lesquelles se trouve placé le sol sous-lacustre à l'égard des phénomènes susceptibles de le remettre en suspension.

On mesure par là combien il serait oiseux de généraliser ces observations localisées, à l'ensemble du lac.

 QUELQUES CONSÉQUENCES DE CES REMISES EN SUSPENSION

a) Les dépôts varvés

Il est bien connu qu'en prélevant dans le sous-sol lacustre une carotte intacte de sédiments, on observe très souvent dans sa coupe une alternance de matériaux gris foncé et gris clair. C'est ce qu'on appelle les « varves ».

F. A. FOREL et, après lui de nombreux auteurs, expliquent cette alternance par le caractère saisonnier de la sédimentation. En hiver, les rivières apportent les matériaux gris foncé, à dominante calcaire ; en été, ce sont surtout des grains de quartz, feldspaths mêlés à des micas et à des minéraux lourds, l'ensemble étant de couleur plus claire.

Il est arrivé très souvent que les échantillons prélevés dans la zone sud du delta présentent ce genre de stratification. Mais l'interprétation classique que l'on en donne me paraît, au moins dans cette région, peu vraisemblable :

Elle est absolument incompatible avec l'existence de ces mouvements, de ces mélanges continuels qui brassent les sédiments superficiels et démolissent les éventuelles structures saisonnières.

A considérer d'autre part le modeste cours de la Promenthouse ou des petites rivières avoisinantes en été, il paraît incroyable qu'elles puissent influencer la nature des dépôts sur une surface aussi étendue.

L'existence de ces varves dans la région peut s'expliquer de manière plus satisfaisante par le mécanisme lui-même de la remise en suspension et du dépôt des matériaux sous-lacustres : si, dans un récipient plein d'eau, on disperse un échantillon quelconque de sédiment lacustre, les particules les plus lourdes, les plus hydrodynamiques et les plus grosses retombent les premières. Elles sont presque toujours à dominante claire ; ce sont les quartz, les feldspaths, etc. Ensuite viennent les particules plus fines et plus légères, généralement de couleur plus sombre.

On obtient ainsi une stratification correspondant tout à fait à la description d'une varve. En agitant légèrement le centre du dépôt, au fond du récipient, une nouvelle varve apparaît en quelques minutes, par dessus la première, sur le bord du récipient de verre… et ainsi de suite. (L'expérience est très facile à faire en laboratoire, elle ne rate jamais !)

Certaines zones, pour une raison ou pour une autre, sont protégées de l'effet des courants. Alors, les "varves" s'y accumulent les unes par-dessus les autres, au gré des variations dans la vitesse des courants. Ailleurs, au contraire, il y a érosion et disparition des dépôts varvés.

C'est dire que la méthode très commune qui consiste à estimer l'âge d'un dépôt en comptant le nombre de ses varves devrait être utilisée avec la plus grande prudence. Tout indique, par exemple, que son application dans la région décrite ici n'aurait aucune signification.

b) Remise en solution de certains produits chimiques

Nous en arrivons là au cœur du problème qui nous occupe. Mais, dans l'état actuel des recherches, iI me paraît imprudent de faire une estimation quantitative du phénomène. Je préfère me limiter à en démontrer l'existence.

Une première méthode consiste à comparer le résultat des analyses chimiques exécutées sur les sédiments recueillis par des marmites ayant séjourné à différentes périodes de l'année au fond du lac.


Fig 7) Emplacement des marmites déposées au fond du lac

EMPLACEMENT I (Sur la figure 7)

Durée et période du séjour dans l'eau

A) du 27 avril au 16 juillet 1969, trois mois d'été.

B) du 27 avril au 1er novembre, six mois d'été

C) du 27 avril au 28 février 1970, dix mois été, hiver

D) du 17 juillet 1969 au 1er novembre, quatre mois été, automne

E) du deux novembre 1969 au 28 février 1970, quatre mois d'hiver

..................................A..B..C..D..E........................................

Quantité de matière sèche.en gr/m2... 2199 2591 11867 985 9390

Matière organique en %....................... 10,4.. 8,5 ..10,5 ..10,8. 11,1

Perte au feu (C02) en %....................... 15,0. 17,1. 15,5 ..20,7.. 14,7

Silice et insoluble en %......................... 45,0 .43,7. 45,0.. 32,2.. 45,9

Chaux (CaO) en %................................17,5.. 19,6. 16,9.. 23,6.. 16,1

Magnésie (Mg()) en %........................... 1,3... 1,1...... 1,4....... 1,3...... 1,4

CaCO3 en %......................................... 32,5 ..36,5.. 32,4.. 44,3.. 30,9

Fer (Fe2O3) en %................................... 3,1.... 2,6... 2,8.... 2,6.... 2.9

Alumine (A1203) en %........................... 5,7.... 6,1 ...6,7.... 7,0 ....6,5

Manganèse (MnO) en %........................ 0,03.. 0,03.. 0,05.. 0,03.. 0,05

Sulfates (SO3)en %................................. 0,5.... 0,45.. 0,25.. 0,5.... 0,2

Phosphore total (P205) en %.................. 0,3..... 0,3.... 0,3... 0,4.... 0,3

Azote organique (N) en %........................0,5.... 0,4..... 0,5... 0,6.... 0,5


EMPLACEMENT II (sur la figure 7)

...............................................................A....B......C......D....E

Quantité de matière sèche en gr/m2....... 1318 .1456,5 .9911. 536,5. 805

Matière organique, en %..........................12,3.... 10,1.... 6,9..... 9,9... 6,0

Perte au feu (CO2), en %.........................18,2.... 21,2 ...18,0... 23,2.. 18,0

Silice et insoluble, en % ...........................35,8 ....31,9... 43,5... 28,3.. 45,3

Chaux (CaO), en %..................................20,2..... 24,9... 20,0... 27,3.. 19,7

Magnésie (MgO), en %............................ 1,3........ 1,3 ........1,4 ........1,2 ......1,3

CaCO3, en %...........................................38,3....... 46,1... 38,0....50,5..37,7

Fer (Fe203), en %.....................................3,0......... 2,6..... 2,5...... 2,6... 2,3

Alumine (AI2O3), en %........................... 6,8 ........6,3...... 6,2...... 6,0 ...6,0

Manganèse (MnO) ,en %........................ 0,03...... 0,03.... 0,04... 0,03.. 0,05

Sulfates (S03),en %................................. 0,6........ 0,6........ 0,2 ....0,6.... 0,2

Phosphore total (P2O5), en %................. 0,4........ 0,4....... 0,3..... 0,5.... 0,3

Azote organique (N), en %...................... 1,2 .......0,6........ 0,3...... 0,7... 0,4


EMPLACEMENT III (sur la figure 7)

..........................................................A.....B.....C.....D....E

Quantité de matière sèche en gr/m2... 1647. 2954. 10310 .1076 .8936

Matiére organique, en %......................11,2 ....9,0..... 7,2..... 8,4..... 6,2

Perte au feu (C02) en %...................... 19,3 ...22,3.... 18,7... 22,9.. 18,5

Silice et insoluble en %........................ 35,8 ...31,9..... 40,1...31,7.. 43,3

Chaux (CaO), en %.............................. 22,7... 25,7..... 23,2.. 25,8.. 21,5

Magnésie (MgO), en %......................... 1,2..... 1,2........... 1,3....... 1,1....... 1,3

CaCO3, en %....................................... 42,0... 48,0..... 41,9.. 48,7... 40,0

Fer (Fe2O3) ,en % ................................2,3 ......2,3 ......2,5.... 1,9...... 2,3

Alumine (A1203) en %......................... 5,6...... 6,1...... 6,0.... 6,4...... 5.9

Manganèse (MnO) , en %.................... 0,02.... 0,03.... 0,04... 0,02.... 0,04

Sulfates (SO3), en %............................. 0,5...... 0,6...... 0,4..... 0,5...... 0,3

Phosphore total (P205), en %................ 0,4..... 0,4...... 0,3..... 0,4...... 0,3

Azote organique (N), en % ................... 0,8...... 0,5...... 0,3.... 0,6 ......0,4

(analyses exécutées par le Dr. R.Monod et le Dr. O.Gonet)

Il faut constater, sur la base de ces résultats, que la concentration de certains produits chimiques diminuent au cours de leur séjour au fond de l'eau.

C'est surtout le cas des composés les plus labiles : matières organiques, phosphore total, azote organique et, dans une certaine mesure, carbonate de chaux. Le fait qu'il s'agisse là de produits dont certains entrent dans la composition des fertilisants dans l'eau, illustre les conséquences possibles du phénomène sur l'eutrophisation générale du Léman.

Il est vrai que, pour ce qui est des résultats obtenus sur les sédiments déposés exactement au large de l'embouchure de la Promenthouse, ces observations sont en défaut. Mais c'est que, dans cette zone, les apports ont été influencés par la crue hivernale de la rivière.

* * *

Une autre manière encore plus directe d'observer ces phénomènes de remises en solution, est de les imiter sur échantillons :

On mélange (doucement) un certain volume d'échantillon fraîchement prélevé et ayant conservé son humidité intacte, dans un volume égal d'eau du lac. On laisse reposer quelques heures, on filtre l'eau de suspension et on l'analyse :

1) Analyse de l'eau avant la remise en suspension de l'échantillon :

Dureté : 13,80.

Teneur en NO3 : 0,60 mg/l

Teneur en phosphore total (exprimée en P04) : 0,21 mg/l

2) Analyse de la même eau après la mise en suspension des échantillons et après filtration :

No de l’échantillon ......A..............B..............C..............D..............E

Dureté......................21,45..........----............----..........22,75.........23,25

Teneur en N03....... 0,62 mg/l...0,66mg/l...0,60mg/l...072mg/l...0,60mg/l

phosphore total........1,55mg/l....0,25mg/l...3,87mg/l...4,76mg/l...3,75mg/l

Ces résultats spectaculaires montrent l'importance du phénomène pour le cycle du phosphore. En ce qui concerne les nitrates, en revanche, l'expérience est moins concluante. C'est que la plupart des composés azotés sont très solubles dans l'eau. On peut donc penser que les échanges en sont facilités et qu'au moment de I'expérience, la plus grande partie des nitrates a déjà quitté le sédiment.

VII. CONCLUSIONS

Dans le lac Léman, les échanges entre les sédiments superficiels du fond et l'eau du lac sont une réalité dont l'importance ne doit pas être sous-estimée. Certes, l'épaisseur du sous-sol qui risque d'être remis en suspension n'est pas très grande par rapport à l'énorme masse des eaux du lac. Dans la zone étudiée, nous l'avons grossièrement estimée à 10cm. Mais, c'est là que s'accumule la totalité des précipitations organiques susceptibles d'être reminéralisées par les bactéries, puis de retourner en solution fertilisante dans l'eau.

Je me suis borné, dans cette introduction, à poser le problème en termes concrets. A l'avenir, les recherches dans ce domaine devraient avoir pour objet d'évaluer l'importance quantitative du phénomène.

Pour cela, beaucoup d'autres éléments restent à préciser

- J'ai limité mes investigations à une zone plus ou moins littorale de 30 a 40 m de profondeur maximum, ce qui est manifestement trop peu. Même si, en été, le sol situé à cette profondeur est particulièrement important pour l'eau du lac.

En effet, les courants le mettent en communication directe avec les zones superficielles du large. Celles-ci, en revanche, sont isolées des grands fonds par les barrières de la stratification thermique. Lorsque des hivers longs et rigoureux font tomber complètement ces barrières, on assiste, comme en 1962-63, à une augmentation générale de la concentration des eaux superficielles en fertilisants. Cela laisse supposer que le phénomène agit également en profondeur.

- Mes observations se sont limitées à une seule région peu étendue du lac. Avant de pouvoir généraliser ces conclusions, il convient de les vérifier ailleurs.

- Le poids des produits chimiques analysés dans ce travail constituait plus du 99 % du poids total de la matière sèche des échantillons. Néanmoins, leur liste est loin d'être complète. Bien d'autres éléments ont une influence considérable sur la vie dans l'eau du lac, même si leur concentration est faible.

* * *

Malgré le caractère incomplet des données sur lesquelles reposent ces interprétations, il n'en reste pas moins démontré que les échanges chimiques entre l'eau et le fond existent et jouent un rôle dans l'eutrophisation dont souffre notre lac. On peut s'attendre à ce que le phénomène ralentisse l'apparition des signes d'amélioration de l'état sanitaire du lac. Lorsque le bassin sera équipé partout d'installations d'épuration des eaux jusqu'au 3e degré, il faudra, sans doute, attendre très longtemps pour que les eaux trop riches du lac soient renouvelées par le courant du Rhône. II est encore loin le temps où, comme MASSOL, en 1894, nous pourrons conclure en écrivant :

« Genève est une ville privilégiée car l'eau du lac qui sert à son alimentation est non seulement une des plus belles, mais aussi une des plus pures qui existent. »

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BIBLIOGRAPHIE TRÈS SOMMAIRE

BOURCART, J. et FRANCIS-BOEUF, C. 1942. - La vase. Hermann, Paris.

BRAJNIKOV, B. et FRANCIS-BOEUF, C. et ROMANOVSKY, V. 1943. Techniques d'étude des sédiments. Hermann, Paris.

COLLET, L. W. 1931. - Varves récentes et anciennes. C. R. Congrès ínter. géograph. de Paris, Colin.

DUSSART, H. 1966. L'étude des eaux continentales. Gauthier-Villars, Paris.

FOREL, F. A. 1892. Le Léman, Monographie limnologique, t. 1, F. Rouge, Lausanne.

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GONET, O. 1971. - Les ondes internes et leurs applications. Bul. A.R.P.E.A. n0 46, 47-55. Neuchâtel.

LIEBMANN, H. 1960. - Handbuch der Frischwasser- und Abwasser-biologie. R. Olden-bourg, München.

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